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29 septembre 2010 3 29 /09 /septembre /2010 22:14

L.jpg’ARISTOLOCHE de la voisine ne manque pas d’air.

Aucune référence ici à un sibyllin message ouï sur Radio Londres. Je veux dire plutôt qu’une belle plante prend ses aises sur mon balcon. Je la laisse faire cependant : cela me gêne, certes, mais si peu... Avouons qu’en outre, je ne peux négliger le fait que sa propriétaire, Madame Barbosa, connaît de puissants moyens de rétorsion. Elle sait que je déteste l’opérette et n’hésiterait pas une seconde à laisser sournoisement La Veuve joyeuse envahir martialement et longuement mon espace vital. Une vraie torture, dont l’éprouvante éventualité me fait abdiquer toute velléité de balbutier la moindre remarque en croisant sur le palier cette altière représentante de la Lusitanie intérieure.

La torture, plus généralement, peut d’ailleurs revêtir des formes d’une réjouissante diversité. Voici un domaine, vraiment, qui laisse confondu par l’ingéniosité et la remarquable inventivité dont l’homme peut parfois faire preuve. Et c’est tout à son honneur. Citons deux exemples parmi des milliers. Lors des guerres de religion en Europe, il est advenu qu’un ennemi capturé soit solidement attaché, et qu’ensuite deux vigoureux gaillards usant d’une scie de scieurs de long se mettent à le trancher de l’entrejambe jusqu’au cou. (Ceci, probablement, en sifflotant un air joyeux propre à soutenir leur effort. L’équivalent anachronique de La Veuve joyeuse devait fort bien faire l’affaire, et d’autant mieux si le supplicié était cocu.) Rien que de très banal me direz-vous. Certes, mais le mordant de l’affaire résidait également dans la position du patient : on l’attachait par les pieds à la verticale entre deux poteaux – la tête en bas donc. Intérêt majeur de la chose : le cerveau étant plus fortement oxygéné, le martyr restait en vie plus longtemps. Ainsi, il pouvait parfois survivre jusqu’à ce que la lame de la scie atteigne sa poitrine. C’est ce qui s’appelle littéralement faire durer le plaisir. Autre continent, autres mœurs : en Chine, l'une des formes d’exécution les plus raffinées avait nom lingchi. Il s’agissait là de découper vivant le condamné, le défi étant de retarder la mort le plus longtemps possible en ne s’attaquant pas aux organes vitaux, et en administrant parfois judicieusement de l’opium.

Nonobstant, les barbares ne sont peut-être pas ceux que l’on croit : dans ce second exemple, il s’agissait d’une exécution, donc d’une sanction – effroyable, certes – infligée à un jugé coupable ; dans le premier cas, de la torture gratuite d’un innocent dont le seul tort était d’être tombé entre les mains des vainqueurs. On peut alors dans ce cas précis paraphraser Michaux et son Barbare en Asie. Par parenthèse, voici un ouvrage à la réputation bien surfaite à mon sens, et parsemé d’affirmations gratuites que l’on ne ressent pas comme étayées par une sensibilité ; on est là bien loin de Nicolas Bouvier.

L’homme a-t-il le monopole de la cruauté ? Faisons l’économie d’en tenter une définition et comparons avec « nos amies les bêtes ». (J’aime bien ce genre d’expression toute faite qui ne veut au fond pas dire grand-chose.) Le requin blanc par exemple a une réputation bien entachée. Oui, mais quand il s’attaque à l’homme c’est par accident, par méprise, aucun sadisme là-dedans. La preuve, quand il engloutit une bouchée de chair humaine, il ressent semble-t-il une intense déception et n’y retourne pas : ce mets est environ deux fois moins calorique que son plat favori, la viande de phoque. Si le mordu meurt des suites de cette attaque (« C’est involontaire, vraiment… comment me faire pardonner ? »), c’est la faute à pas de chance.

Regagnons la terre ferme et attachons-nous aux chimpanzés : vrai qu’ils sont attachants justement. Il suffit d’évoquer Tarzan ou Daktari. Certes, mais ils sont parfois carnivores et tuent d’autres singes plus petits pour les dévorer. (Leurs cousins bonobos, si connus pour leurs mœurs paisibles dues à une agressivité régulée par le sexe [je simplifie] font en certains cas de même.) Les chimpanzés pratiquent d’ailleurs le meurtre avec préméditation envers leurs congénères d’autres clans. Il s’agirait là de conquérir de nouveaux territoires.

 

Après les rapports entre groupes, tant chez les animaux que chez les humains, quid des rapports entre individus ? Il semblerait que nul groupe socialisé ne puisse échapper à la hiérarchisation. Ce qui nous amène à l’intéressante notion de dominant/dominé. Relatons une expérience scientifique faite il y a quelques années : des rats sont triés suivant le critère dominant/dominé justement. Puis on place un groupe de dominants et un rat dominé à proximité de nourriture, le fait marquant étant que cette dernière est placée à l’extrémité d’un tuyau plongé dans l’eau. Le rat allant chercher l’aliment devra donc s’immerger, et ne pourra en outre manger sur place, puisqu'il faut auparavant qu’il ressorte à l’air libre. On constate que le rat qui tente l’aventure est systématiquement celui préalablement repéré comme faisant partie des dominés. S’il ne veut pas plonger dans l’eau, ses congénères vont l’y contraindre en le mordant. Comme vous l’avez deviné, la pitance si péniblement rapportée est immédiatement confisquée par les rats dominants. Et la scène sera répétée à l’envi… Tout ceci est déjà digne d’intérêt, mais le plus riche d’enseignement est à venir : si l’on escamote de l’expérience le rat dominé… un rat dominant devient aussitôt dominé et doit se livrer au même esclavage sous peine d’être molesté.

Osons établir un parallèle avec notre société humaine, et certains comportements (dans l’entreprise, au sein du monde politique…) se dévoilent sous un éclairage nouveau.

 

Ceci incite à relater quelques effets de rapports sociaux assez extraordinaires d’un espace-temps non moins extraordinaire, celui de l’Inde des maharajahs, tel qu’il a pu être observé par Vitold de Golish : « [Le maharajah] ouvre la bouche et tire la langue. Avec d’infinies précautions, le préposé l’attrape avec ses doigts, toujours protégés par un mouchoir, la sort à son maximum et, à l’aide d’une raclette en or en forme de fer à cheval, gratte la couche pâteuse que les chaleurs des tropiques y déposent chaque nuit. Une même pellicule, bien que de moindre importance, se forme aussi à l’intérieur des paupières. Ce technicien retourne alors complètement chacune d’elles, la tend sur l’extrémité de son doigt et, repoussant l’œil au fond de l’orbite, la décape avec un petit grattoir. » Rapports de domination d’autant plus grands, comparativement aux rats, que nul besoin direct aussi vital que de la nourriture n’entre en jeu. Citons encore une observation faite par de Golish lors d’une promenade en groupe dans le palais : « Soudain, [le maharajah] s’immobilise et laisse un domestique, accouru avec un vase argenté, lui défaire le devant de ses jodhpours. Le préposé accroupi à ses pieds tient, entre le pouce et le majeur, le sexe princier à travers un mouchoir. C’est lui qui, la besogne terminée, d’un geste rapide le débarrasse de l’ultime goutte, tandis qu’un autre serviteur l’asperge d’eau parfumée à l’oranger. Après avoir saupoudré le membre avec du sable très fin, un troisième domestique le replace avec d’infinies précautions dans les jodhpours, aidé en cela d’un mouvement de reins du prince lui-même. » J’ai omis de préciser que dans un délicieux souci de délicatesse, dès que le prince a débuté sa miction, « tous les invités associés à la promenade se sont brusquement animés et ont aspiré d’une manière volontairement bruyante leur thé, afin de couvrir le son caractéristique fait par l’illustre liquide tombant à l’intérieur du vase ».

 

Cette prévenance peut rappeler une anecdote démontrant l’écrasante supériorité de la diplomatie française sur celle des autres pays, et soulignant une nouvelle fois la prégnance des rapports de hiérarchie. Lors d’une réunion autour d’une table rassemblant la reine d’Angleterre et des diplomates de divers pays, il advint que la souveraine émit un bruit incongru, du genre de ceux qui peuvent être provoqués par une digestion difficile ; sa place étant au bout de la table, aucun doute n’était possible sur l’identité de la responsable. Les diplomates furent pétrifiés par la gêne. Seul le représentant français eut alors la présence d’esprit de se lever et de déclarer : « Veuillez m’excuser, Votre Majesté. » Il fut, paraît-il, remercié par un gracieux sourire de la part de la reine.

 

Ite in pace, car c’est ainsi que les hommes vivent.

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commentaires

L
<br /> Vous avez raison, chère Lotus-vert... De crainte que vous ne soyez de mots lestée, j'élimine derechef le jeu de mots incriminé...<br />
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L
<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Je suis très déçue. Je tenais ce blog en grande estime pour sa haute tenue, tant sur la forme que sur le fond. Je m'aperçois que l'auteur cède dans ce billet à la tentation d'un<br /> calembour facile. Je vous rappelle que Mignard de la Glissande a qualifié un jour les jeux de mots de "lie de l'esprit".<br /> <br /> <br /> Reprenez-vous, s'il en est encore temps.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br />
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